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Des sièges garantis sous la proportionnalité au Conseil d’État Valaisan ?

Nenad Stojanovic, Sean Mueller
28th February 2022

La proposition actuelle d’une nouvelle constitution valaisanne prévoit deux grands changements : l’augmentation du nombre de sièges de 5 à 7 et la transition au système électoral proportionnel. Le Haut Valais – tout comme les deux autres régions du canton – aura toujours un siège garanti. Comment réconcilier cette protection d’une minorité linguistique avec une élection à la proportionnelle ? Et quelles pourraient être les conséquences pour les partis politiques ainsi que les femmes ?

Il y a deux voies principales lorsqu’on demande au corps électoral de choisir les personnes pour une charge publique. L’idée principale qui sous-tend le système proportionnel est la « traduction » la plus exacte possible des différentes préférences politiques en nombre de sièges. La distribution de ces derniers s’effectue en deux étapes. Tout d’abord, les partis sont récompensés en fonction de leurs pourcentages de votes, parfois à partir d’un seuil légal (quorum) de 1 (Schwyz), 3 (Neuchâtel) ou bien 7 (Genève) pourcents. Les sièges ainsi gagnés sont ensuite répartis parmi les candidat.es avec le meilleur score personnel sur ces listes. La « permissivité » d’un système électoral s’exprime à travers le pourcentage de voix nécessaire afin de gagner un siège : ce seuil effectif correspond à 100% divisé par le nombre de sièges dans une circonscription plus 1.

En revanche, l’idée principale sous-jacente au système majoritaire est d’avoir des personnes gagnantes claires et nettes. Même si ces personnes appartiennent elles aussi le plus souvent à un parti politique, ce mode d’élection favorise davantage les individus que leurs partis. Typiquement, les règles majoritaires suisses demandent l’obtention de la majorité absolue au premier tour. Celle-ci est calculée, au Valais par exemple, « en divisant par deux le nombre des bulletins rentrés » valables, puis en prenant « le nombre entier immédiatement supérieur au résultat » de cette division (Art. 4 LcDP). Mais si le Conseil d’État valaisan était élu selon le système proportionnel, qu’est-ce qui pourrait changer ? Et comment réconcilier ce nouveau système avec la nécessité de garantir au moins un siège à la minorité germanophone du Haut Valais ?

Présences des deux systèmes électoraux en Suisse

Rappelons très brièvement la répartition de ces deux modes de scrutin dans le reste de la Suisse. Cela nous amène au constat que l’idée de la proportionnalité est d’autant plus réalisée qu’il y a des sièges à pourvoir dans une circonscription électorale. En réalité, même si depuis 103 ans le Conseil national est élu à la proportionnelle, il n’est simplement pas possible de l’appliquer dans les plus petits cantons avec un seul siège. Même dans les cantons à taille moyenne, l’épanouissement du principe proportionnel est rendu difficile. Dans son appréciation des systèmes électoraux cantonaux, le Tribunal fédéral a stipulé la règle grossière de 10% (Lutz 2016), c’est-à-dire que partout où il y a moins de 9 sièges à repartir, la proportionnalité n’est pas strictement parlant appliquée. Jugeant de la répartition des sièges au Conseil national lors des dernières élections d’octobre 2019, seuls les sept cantons les plus grands (ZH, BE, VD, AG, GE, SG et LU) ont rempli ce critère (graphique 1).

Graphique 1: nombre de sièges et seuil effectif par canton, Conseil national 2019 (sans les 6 cantons les plus petits)

Données : OFS

A l’intérieur des cantons, 21 – et, avec les Grisons, bientôt 22 – d’entre eux utilisent des systèmes proportionnels pour élire leurs parlements. À Genève, Neuchâtel et au Tessin le canton entier forme même une circonscription électorale unique. Seul Appenzell Rhodes-Intérieures se base sur le principe majorité pour élire son parlement, tandis que Uri, Bâle-Ville et Appenzell Rhodes-Extérieures appliquent un système mixte (proportionnel-majoritaire). Cependant, le système majoritaire domine dans le mode de désignation des conseillers aux États (exceptions : Jura et Neuchâtel, même si cela ne fait que peu de sens de parler de proportionnalité avec seulement deux sièges…) tout comme pour les exécutifs cantonaux. La seule exception de cette règle est le Tessin – et, jusqu’en 2013, Zoug – qui utilise le système proportionnel pour l’élection de ses cinq membres de l’exécutif. Le Valais serait donc le deuxième canton à opter pour le mode de scrutin proportionnel, si la proposition actuelle de la Constituante entrait en vigueur.

Conséquences possibles pour les partis…

La littérature en science politique est d’accord quant au fait que les systèmes proportionnels encouragent la diversité partisane. En effet, et avant tout, il est plus facile pour les partis politiques d’obtenir assez rapidement deux, trois sièges et d’ensuite grandir sur cette base. En ce qui concerne les électrices et les électeurs, par contre, il y a moins de votes gaspillés, c’est-à-dire de bulletins soutenant un-e candidat-e ou bien un parti qui ne gagnera point (car dans un scrutin majoritaire typique, le vainqueur gagne tout). Cela encourage une participation plus grande et stimule la présence des membres des minorités sur les listes électorales. Mais tel qu’évoqué auparavant, ces effets dépendent fortement du nombre de sièges à repartir par circonscription. En d’autres termes, les conséquences se manifestent avant tout dans des grandes circonscriptions et lors des élections parlementaires. Cependant, pour choisir cinq ou sept membres d’un exécutif cantonal, ce ne sera pas forcément le cas.

En même temps, il est important de souligner que les 25 cantons utilisant le système majoritaire ne connaissent que très rarement des exécutifs purement à gauche ou bien à droite. Le mécanisme spécial selon lequel chaque candidat-e est élu-e séparément et non pas en bloc assure généralement la présence de toutes les forces importantes dans l’exécutif. Pour décrire ce phénomène, les politologues parlent de la « proportionnalité volontaire » – même s’il ne s’agit pas, strictement parlant, des décisions vraiment « volontaires ». En fait, un parti qui ne détient qu’une majorité relative commettrait une erreur tactique énorme s’il essayait de conquérir la majorité absolue, car en présentant plusieur.es candidat.es il risque de voir les votes se fragmenter. Ainsi, en 2006, l’UDC bernois a essayé de gagner un siège supplémentaire (il en avait trois) en présentant 4 candidats. Mais pour finir il a perdu l’un de ses trois sièges – au profit du PS.

Enfin, il est important de clarifier d’autres détails avant la mise en œuvre du système proportionnel : permet-on aux partis d’apparenter leurs listes pour maximiser leurs chances ? Est-ce que les électrices et les électeurs peuvent biffer, panacher et cumuler, comme c’est le cas pour les élections au Conseil national ? Si ces règles étaient donc valables lors de la prochaine élection du Conseil d’État valaisan et le comportement électoral identique (ce qui est peu probable, car les électeurs et les électrices expriment aussi des votes « stratégiques » en fonction du système en place), alors celui-ci ressemblerait fortement à la délégation valaisanne au Conseil national actuelle (graphique 2). Les partis de la gauche et de la droite gagneraient tandis que le PLR et le Centre perdraient des sièges. Cela susciterait une représentation de la gauche et du Centre plus ou moins proportionnelle à leur force au parlement valaisan, alors que l’UDC serait toujours sous-représentée, et le PLR surreprésenté.

Graphique 2: % de sièges par partis, langues et genre au Valais, 2019–21
Données : OFS & Canton Valais
…et d’autres groupes

Toutefois, il serait possible de s’attendre à des effets contraires pour deux autres groupes minoritaires – la minorité germanophone et les femmes – si les dernières élections servent de guide. Actuellement, les germanophones sont surreprésentés dans l’exécutif, avec deux sièges sur cinq, tandis que les femmes ne le sont point. La transition à la proportionnalité pourrait donc nuire aux germanophones, si l’on se base sur la situation actuelle. Pour les femmes, en revanche, une augmentation des sièges, comme lors des dernières élections cantonales, n’est pas illusoire (graphique 2 ; moyenne suisse : 31%). Mais leur représentation pourrait aussi rester à 0%, comme c’est le cas dans la délégation valaisanne au Conseil national. Le gouvernement tessinois est d’ailleurs lui aussi, depuis 2015 (et jusqu’en 1995) 100% masculin, même s’il est élu à la proportionnelle.

Dans tous les cas, la proposition actuelle de la Constituante ne prévoit de garantie de siège que pour les germanophones, mais pas pour une diversité du genre. Dans le futur, comme c’est le cas aujourd’hui (mais avec cinq et non pas sept sièges), au moins un membre du gouvernement devra venir du Haut Valais (les nouvelles régions de Brigue et Viège), du Valais Central (Sierre et Sion) et du Bas Valais (Martigny et Monthey). Comme c’est déjà le cas aujourd’hui, les germanophones auront donc la garantie d’avoir au moins un siège – sur sept et non pas sur cinq comme aujourd’hui. L’autre aspect n’étant pas pris en considération est celui de la possibilité qu’un représentant du Haut Valais puisse être choisi par les électeurs des autres partis du canton : la majorité francophone pourrait théoriquement imposer son ou sa candidat-e préféré-e. Cela s’est en effet produit en 1986 dans le Canton de Berne, en ce qui concerne l’élection de la minorité francophone, lorsque Benjamin Hofstetter a été élu à la place de Geneviève Aubry, grâce aux votes des germanophones dans le reste du canton, alors même que cette dernière avait obtenu presque le double des bulletins au Jura bernois où les deux se disputaient le siège garanti. La conséquence de cela fut l’introduction de la moyenne géométrique qui attribue une pondération plus haute aux votes du Jura bernois

Graphique 3: Simulation d’une élection proportionnelle d’un conseil exécutif à 7 avec des sièges régionaux garantis

Néanmoins, vouloir concilier un siège garanti aux personnes avec un système électoral visant tout d’abord les partis est une affaire complexe. Pour commencer, le panachage pourrait être interdit – les électrices et électeurs ne pourraient voter que pour les candidat-es d’une seule liste. Dès lors, uniquement les supporteur-es du PS Haut Valais, par exemple, décideront qui parmi ses candidat-es siègera au Conseil d’État. De plus – ou alternativement – chaque parti pourrait être obligé de présenter une liste avec au moins un-e candidat-e de chaque région. Une personne ainsi « cooptée » ne profitera en revanche que de son statut territorial si besoin. Par exemple, si après une première distribution des sièges selon les règles « normales » une région manque encore d’une représentation, la liste gagnante devra procéder à une substitution comme décrit dans le graphique 3. De cette façon, le siège garanti ne causera pas de changements entre les partis, mais seulement en leur sein. Mais la commission no. 8 de la Constituante acceptera certainement d’autres idées encore : la deuxième lecture débutera cet été.


Références: