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Les femmes à la Landsgemeinde de Glaris: voter, «oui», mais s’exprimer, «mouè»?

Marlène Gerber
18th May 2021

Plusieurs études récentes font le constat que les femmes en Suisse participent aujourd'hui aux votations avec une fréquence similaire à celle des hommes, ou que l'écart entre les genres ne se manifeste que parmi la population plus âgée. Est-ce que cette absence de différence de participation se manifeste également dans la démocratie d'assemblée ? Les résultats de l'exemple de la Landsgemeinde de Glaris indiquent une diminution de la différence entre les genres en termes de participation. Cependant, en termes de prise de parole, l'écart reste constant et important.

Si la participation à la Landsgemeinde permet en soi une participation libre qui n'est pas dépendante de l'existence préalable de réseaux ou à l'occupation d'une certaine position - par exemple, toute électrice ou électeur peut prendre la parole à la Landsgemeinde et déposer un amendement qui sera ensuite voté - la Landsgemeinde repose également sur des mécanismes qui pourraient rendre plus difficile une participation égale pour toutes et tous. Dans le canton de Glaris, par exemple, seuls ceux qui sont présents à la Landsgemeinde, laquelle a lieu le premier dimanche de mai, peuvent voter. Cela pourrait représenter un obstacle supplémentaire pour les personnes ayant des responsabilités familiales, entre autres. En outre, le vote est exprimé publiquement en levant la main, ce qui présuppose la volonté de dévoiler sa propre position et, si nécessaire, de la défendre. Un haut degré de confiance en soi (politique) et d'aisance linguistique est également requis lorsqu'on décide de prononcer un discours à la Landsgemeinde. Les femmes, dont la participation politique n'est possible que depuis les années 1970 et qui, il n'y a encore pas longtemps, n'était pas une évidence, font encore souvent preuve d'un intérêt moindre pour la politique traditionnelle - un fait qui se reflète également dans nos données. Ainsi, on pourrait s'attendre à une propension moindre à s'exprimer parmi les femmes à Glaris.

Les résultats de notre modèle de régression montrent que les personnes ayant des enfants mineurs sont effectivement significativement moins susceptibles de fréquenter la Landsgemeinde. Toutefois, cet effet s'applique aussi bien aux femmes qu'aux hommes. Lorsque nous contrôlons les facteurs de motivation politique dans notre modèle - en plus de l'intérêt et des connaissances politiques, nous contrôlons également pour l'efficacité interne et l'appartenance à un parti - la participation des femmes est similaire à celle des hommes lorsqu'il s'agit de la participation à la Landsgemeinde. Cependant, nos modèles suggèrent que l'écart entre les sexes en ce qui concerne la volonté de s'exprimer ne se réduit guère, même en comparant des personnes présentant un score comparable de motivation politique. De plus, après avoir contrôlé pour diverses caractéristiques socio-économiques, variables de réseau et facteurs de motivation politique, une différence significative dans la volonté de prendre la parole entre femmes et hommes subsiste. Celle-ci s'élève à un peu plus de 30 points de pourcentage dans nos modèles en moyenne (voir Graphique 1). Et si le gender gap en matière de participation à la Landsgemeinde est similaire à celui observé en ce qui concerne la participation aux urnes, en particulier pour la population plus jeune, les jeunes femmes de notre enquête sont par contre nettement moins souvent disposées à prononcer un discours à la Landsgemeinde.

Graphique 1 - Participation à la Landsgemeinde de Glaris selon le sexe

Notre étude se conclut par plusieurs points d'interrogation. Y a-t-il un manque de modèles à suivre ? Au milieu des années 1990, un discours sur dix à la Landsgemeinde de Glaris était prononcé par une femme, et actuellement, un sur cinq, ce qui signifie que si la visibilité des femmes au pupitre a considérablement augmenté, celle-ci n'est toujours pas devenue une évidence. Le type de politique pratiqué à la Landsgemeinde, qui présuppose de rendre publiques ses propres positions et se caractérise par une culture prononcée de la discussion, correspond-il (encore) moins aux femmes de Glaris ? D'autres études suggèrent quand même que les femmes de la Landsgemeinde argumentent tout aussi objectivement que les hommes et que les motions défendues par des femmes n'ont en aucun cas moins de succès que celles qui ne sont défendues que par des hommes. En outre, nos données démontrent que la confiance en soi (politique) des femmes, après des siècles durant lesquels elles n'ont pu assister à la Landsgemeinde qu'en tant que spectatrices, est encore moins prononcée sur le ring (voir Mueller et al. 2021) ; lorsque des femmes défendent une position minoritaire, elles ont nettement moins tendance à participer à la Landsgemeinde si elles doivent y aller seules et ne peuvent le faire dans un "cadre protégé", ce qui serait possible, par exemple, en étant accompagnées par des amis ou des membres de la famille. Dans nos données, la probabilité de participation des hommes lorsqu'ils défendent une position minoritaire est significativement moins dépendante de la question de l'accompagnement.
 
Données et méthode
Les données de cette étude ont été récoltées grâce à la collaboration entre un groupe d'étudiants et divers membres de l'Institut des sciences politiques de l'Université de Berne, ainsi qu'au soutien du canton de Glaris. Aucun fonds de recherche n'était disponible pour cette enquête, laquelle a été menée dans le cadre d'un travail de séminaire. Les participants à l'étude ont été invités à prendre part à l'enquête en ligne directement sur la base d'une liste d'adresses électroniques collectée par le canton pour une étude de marketing menée précédemment. Le processus de recrutement s'est fait principalement par le biais de publicités dans les médias locaux. Les données comprennent un peu plus de 800 participants et présentent une distribution équilibrée de l'échelle gauche-droite et de la municipalité de résidence. À l'exception de la catégorie d'âge la plus élevée, tous les groupes d'âge sont bien représentés. Les personnes ayant un fort intérêt politique et les hommes sont surreprésentés et les personnes ayant un faible niveau d'éducation sont sous-représentées dans notre enquête. La différence très significative entre les femmes et les hommes en matière de volonté de prise de parole demeure même lorsque les données sont pondérées à l'aide de variables socio-démographiques.
 
Le graphique 1 présente les probabilités prédites pour la participation à la Landsgemeinde de 2015 ainsi que pour la volonté générale de s'exprimer lors de la Landsgemeinde (y compris les intervalles de confiance à 95 %). Les modèles incluent plusieurs variables socio-économiques (âge, éducation, revenu, appartenance à une municipalité, emploi, enfants dans le ménage), l'orientation politique, diverses variables de réseau (ménage d'une personne, appartenance à un club et à un parti, taille du cercle d'amis à Glaris), des facteurs de motivation politique (intérêt et connaissances politiques, fonction politique, efficacité interne) et présentent les probabilités prédites à la moyenne.
 
 
Note: Cet article est tiré d'une présentation de l'autrice tenue le 18 mars 2021 à Aarau lors des 13e Journées argoviennes de la démocratie du Centre pour la démocratie.

Bibliographie:

  • Gerber, Marlène, Hans-Peter Schaub and Sean Mueller (2019). O sister, where art thou? Theory and evidence on female participation at citizen assemblies. European Journal of Gender and Politics 2(2): 173–195. https://doi.org/10.1332/251510819X15471289106095
  • Mueller, Sean, Marlène Gerber and Hans-Peter Schaub (2021). Democracy beyond secrecy. Assessing the promises and pitfalls of collective voting. Swiss Political Science Review 27(1): 61–83. https://doi.org/10.1111/spsr.12422

Image: landsgemeinde.gl.ch