1

Activité professionnelle en temps de confinement et perspectives d’avenir

Franziska Ehrler, Gian-Andrea Monsch, Stephanie Steinmetz
27th October 2020

La vie professionnelle de la population suisse a été largement impactée par la crise du Covid. Notre enquête menée auprès de la population suisse durant la période du confinement au printemps 2020 montre que quatre travailleurs sur cinq ont dû s'adapter à une situation professionnelle modifiée, tandis qu'un ménage sur six a été touché par le chômage partiel. Néanmoins, les trois quarts de la population active se disent globalement satisfaits de leur travail et de leur situation financière. C'est d'autant plus le cas pour les employés du secteur public, qui apparaissent moins préoccupés par leur situation financière que les travailleurs du secteur privé et les indépendants. Au final, deux tiers des personnes interrogées s'attendent à ce que la situation de l'emploi se normalise rapidement.

 

Enquête FORS Covid-19 MOSAiCH
Afin de contribuer à la compréhension des effets du Covid-19 sur la société en Suisse, MOSAiCH a ajouté des questions sur le Covid-19 et sur les mesures prises pour y faire face. MOSAiCH est une enquête socio­logique annuelle. Les questions portent sur les thèmes du bien-être, du travail, de la conciliation de la vie familiale et professionnelle ainsi que de la politique. Entre fin avril et fin mai 2020, 1'937 personnes âgées de 18 ans ou plus vivant dans des ménages privés en Suisse ont répondu au questionnaire en ligne. Les résultats ont été pondérés statistiquement afin d'obtenir une meilleure représentativité de la population suisse. Ces person­nes seront interrogées une deuxième fois à l'automne 2020 et une troisième fois au printemps 2021 pour mesurer les effets du Covid-19 à plus long terme.

 

La situation a changé pour la plupart des travailleurs pendant la période du confinement

Le confinement a eu, du moins à court terme, un énorme impact sur la vie professionnelle de la grande majorité de la population suisse. En effet, seules 17 pour cent des personnes actives interrogées ont indiqué que leur situation professionnelle n’avait pas changé durant la période du confinement.

Les changements subis par la majorité de la population active ont pris des directions différentes. De nombreuses personnes ont travaillé moins qu'auparavant (21 %), parmi lesquelles certaines ont traversé une période de chômage partiel. On constate que les femmes ont eu tendance à travailler moins d’heures que les hommes (24 % contre 19 %), mais qu'il n’y a pas eu de différence entre les sexes en matière de chômage partiel. Faible mais significative, la différence entre les sexes est peut-être due au fait que les femmes sont plus enclines à assumer les tâches supplémentaires de garde des enfants et ont donc légèrement réduit leur temps de travail. Mais des analyses supplémentaires seraient nécessaires pour étayer cette hypothèse.

Si une bonne part des gens a dû diminuer son temps de travail, d'autres ont au contraire travaillé davantage pendant la période du confinement qu'auparavant (17 %).

 

Graphique 1    Changement dans la situation professionnelle (en % des personnes interrogées)

N=1230, Question : La crise du coronavirus a-t-elle entraîné les changements suivants dans votre situation professionnelle ? Pendant la crise du coronavirus... j’ai travaillé moins d’heures par semaine dans mon travail rémunéré qu'auparavant. / J’ai travaillé plus d’heures par semaine dans mon emploi rémunéré qu'auparavant. / J’étais employé et au chômage partiel. / J’étais travailleur indépendant et j’ai (partiellement) subi une perte de gains. / J’ai pratiqué entièrement le télétravail. / J’ai pratiqué partiellement le télétravail. / J’ai pris des vacances que je n’aurais pas prises autrement. / J’ai pris un congé avec maintien du salaire. / J’ai eu des horaires de travail plus flexibles. / J’ai perdu mon emploi. / rien n’a changé dans ma situation professionnelle. Autres changements (Possibilité de réponses multiples)

Environ 40 pour cent des personnes actives ont eu recours en partie ou complètement au télétravail. Treize pour cent des travailleurs interrogés ont pu bénéficier d’un horaire de travail plus souple pendant la période de confinement. Il s'agit plutôt des employés du secteur public et moins de ceux du secteur privé. Il s'agit là des principales différences observées. Généralement, nous n'avons pas observé de différences significatives entre les secteurs public et privé, ni entre hommes et femmes.

 

Un ménage de travailleurs sur six a été touché par le chômage partiel

Sur la totalité des actifs occupés, 14 pour cent ont été touchés par le chômage partiel pendant la période de confinement. Autrement dit, une personne employée sur sept a travaillé à temps partiel. En outre, neuf pour cent des personnes interrogées ont un (ou une) partenaire qui a vécu une phase de chômage partiel.

Le nombre d’heures de travail encore effectuées dans le cadre du chômage partiel a cependant été très variable, comme le montre le graphique 2. Dix-sept pour cent d’entre elles n’ont par exemple pas travaillé du tout tandis que les autres ont travaillé en moyenne 19 heures par semaine, ce qui correspond à un taux d’un peu moins de 50 pour cent.

 

Graphique 2    Changement dans la situation professionnelle (en % des personnes interrogées)

N=169, Vous avez indiqué que vous étiez au chômage partiel pendant la crise du coronavirus. Combien d’heures avez-vous travaillé pendant la crise du coronavirus dans une semaine moyenne ?

 

Aucune différence n’a été constatée en fonction du sexe, de l’âge ou du niveau d’emploi. Autrement dit, que l’on soit homme ou femme, jeune ou vieux, occupé à plein temps ou à temps partiel, peu importe : tous ont été touchés par le chômage partiel. On constate toutefois une différence entre le secteur public et le secteur privé. Tandis que six pour cent seulement des employés du secteur public ont été touchés par le chômage partiel, ce chiffre était de 20 pour cent dans le secteur privé. La différence s'explique peut-être par le fait que, dans le secteur public, il n’y a parfois pas de droit au chômage partiel. Notons que le nombre de cas étant relativement faible, les résultats doivent être considérés avec précaution. Néanmoins, le fait qu'une personne sur cinq travaillant dans le secteur privé déclare avoir été au chômage partiel est révélateur de l’impact du confinement sur la population.

 

Les travailleurs indépendants très préoccupés par leur situation financière

Trois quarts des personnes ayant un emploi sont satisfaites de leur travail et autant sont satis­faites de leur situation financière (graphique 3). C’est chez les jeunes adultes qu'on trouve le plus de personnes insatisfaites. Environ 15 pour cent des jeunes de 18 à 30 ans sont insatisfaits aussi bien de leur situation financière que de leur travail. En principe, la satisfaction augmente avec l’âge. Dans la tranche d’âge des personnes de 48 à 64 ans, 83 pour cent sont satisfaites de leur travail, contre seulement 68 pour cent chez les jeunes adultes (de 18 à 30 ans). Une image similaire se dessine concernant la situation financière : 65 pour cent des per­sonnes sont satisfaites dans la tranche d’âge la plus jeune et 82 pour cent dans la tranche d’âge supérieure. Ces différences selon l’âge peuvent également être observées indépen­damment de la crise du Covid-19 (cf. rapport social 2016, p. 143)[1]. Les résultats indiquent plutôt que ces écarts existaient déjà avant la crise et n’ont pas changé pendant.

 

Graphique 3    Satisfaction à l’égard du travail (en % des personnes interrogées)[2]

N=1223-1225, Dans l’ensemble, dans quelle mesure êtes-vous satisfait de votre travail / de votre situation financière ?

 

Graphique 4   Satisfaction à l’égard de la situation financière (en % des personnes interrogées)

N=1223-1225, Dans l’ensemble, dans quelle mesure êtes-vous satisfait de votre travail / de votre situation financière ?

Si la satisfaction professionnelle et financière a tendance à être élevée chez les travailleurs du secteur public, ce n'est pas le cas pour les personnes travaillant dans le secteur privé. Celles-ci indiquent être particulièrement préoccupées par l’impact du Covid-19 sur leur situation financière : 47 pour cent des travailleurs du secteur privé sont concernés à cet égard, contre 31 pour cent dans le secteur public. Cela pourrait également être dû au fait que le chômage partiel est plus répandu dans le secteur privé. Il est clair que les salariés qui ont été en chômage partiel sont nettement plus préoccupés par leur situation financière que ceux qui n’en ont pas été touchés. Une analyse plus approfondie serait néanmoins nécessaire pour déterminer si les gens sont plus préoccupés parce qu'ils ont été en chômage partiel ou parce qu'ils travaillent dans le secteur privé.

La grande majorité des travailleurs indépendants (90 pour cent) sont satisfaits de leur travail. Ils sont donc plus satisfaits que les employés, qui ne sont que 75 pour cent à se déclarer satisfaits (graphique 3). Interrogés sur leur satisfaction quant à leur situation financière, les salariés et les indépendants ne présentent aucune différence. Cependant, le graphique 4 montre que les travailleurs indépendants sont beaucoup plus préoccupés par l’impact de la crise du Covid-19 sur leur situation financière. Plus de la moitié (environ 60 pour cent) sont soucieux, et beau­coup sont même très préoccupés.

 

Graphique 5    Préoccupation quant aux effets de la crise du coronavirus sur la situation financière (en % des personnes interrogées)

N=1216, Dans quelle mesure êtes-vous préoccupé par l’impact de la pandémie sur votre situation financière ?

 

Globalement, une part importante des actifs sont préoccupés par l’impact de la crise du Covid-19 sur leur situation financière. Tout comme la satisfaction, l’inquiétude augmente avec l’âge. Les jeunes adultes sont moins satis­faits, mais en même temps moins préoccupés.

 

Deux tiers s’attendent à une normalisation de leur situation professionnelle

Deux tiers des personnes interrogées ayant un emploi s’attendent à ce que leur activité profes­sionnelle, au cours des trois prochains mois, soit la même qu'avant le confinement (graphique 5). Nos analyses montrent des chiffres similaires quant aux partenaires exerçant une activité profes­sionnelle. Là encore, deux tiers des personnes interrogées supposent que l’acti­vité profession­nelle de leur partenaire sera la même qu'auparavant. Par rapport aux répon­dants qui n’en ont pas été au chômage partiel, ceux qui l’ont été sont un peu moins enclins à penser que leur situation professionnelle sera bientôt la même qu'avant le confine­ment.

Un tiers des personnes interrogées s’attendent à des changements touchant leur propre activi­té professionnelle ou ne sont pas en mesure de se prononcer à ce sujet (graphique 5). Onze pour cent supposent qu'ils continueront à travailler moins d’heures par semaine dans un avenir proche, tandis que dix pour cent s’attendent à une baisse de leur revenu professionnel. Cinq pour cent présument qu'ils vont changer d’emploi ou perdre leur emploi.

Dans ce domaine, les enquêtes de suivi permettront de vérifier si cet optimisme apparent se maintiendra dans les mois à venir.

 

Graphique 6    Impact attendu de la crise du coronavirus sur l’emploi au cours des trois prochains mois (en % des personnes interrogées)

N=1239, Question : Suite à la crise du coronavirus, à quoi vous attendez-vous en termes d’emploi dans les trois prochains mois ? Mon emploi sera le même qu'avant la crise du coronavirus (même nombre d’heures, même revenu). / Je travaillerai moins d’heures par semaine qu'avant la crise du coronavirus. / Je travaillerai plus d’heures par semaine qu'avant la crise du coronavirus. / Mon revenu professionnel sera plus faible qu'avant la crise du coronavirus. / Mon revenu professionnel sera plus élevé qu'avant la crise du coronavirus. /Je vais changer d’emploi. / Je vais perdre mon emploi sans perspective d’un nouvel emploi. (Possibilité de réponses multiples)

 

Conclusion

La crise du Covid-19 et les mesures qui l'ont accompagnée ont eu un énorme impact sur la vie professionnelle de la population, et cela de très diverses manières. Toutefois, au moment de l’enquête, la majorité de la population active supposait que ces changements seraient de courte durée et que la situation professionnelle reviendrait à la normale. Seule une faible pro­portion des personnes interrogées a perdu son emploi et peu d’entre elles s’attendent à le perdre dans les mois qui suivent immédiatement le confinement. À cet égard, il sera certaine­ment important, lors des prochaines vagues d’enquête, de vérifier si les attentes sont confir­mées et dans quelle mesure la situation professionnelle des personnes interrogées est reve­nue à la normale.

La satisfaction des gens à l’égard de leur travail et de leur situation financière actuelle demeure élevée. Cepen­dant, une part importante des personnes actives est également préoccupée par l’impact de la crise du Covid-19 sur sa situation financière. Les indépendants et les employés du secteur privé sont probablement, et à juste titre, beaucoup plus préoccupés par cette question que les employés du secteur public. Ces préoccupations doivent être prises en compte dans le débat public et politique.

 


Cet article est tiré de la fiche d'information no 3 de l'enquête FORS Covid-19 MOSAiCH.


[1] F. Ehrler, F. Bühlmann, P. Farago, F. Höpflinger, D. Joye, P. Perrig-Chiello et Ch. Suter (éd.). Rapport social 2016 : Bien-être ; éd. Seismo. Zurich.

[2] Ne sont mentionnées que les catégories pour lesquelles il existe des différences significatives.

 

 

 

Image: UNIL/Dreamstime.com