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Politique, droits fondamentaux et enjeux environnementaux pendant la période de confinement

Gian-Andrea Monsch, Franziska Ehrler, Stephanie Steinmetz
23rd October 2020

Les restrictions parfois drastiques des droits fondamentaux au printemps 2020 ont été tolérées et même approu­vées par une grande partie de la popu­lation. Une des raisons de cette accep­tation est la conviction que le système politique suisse est capable de produire des solutions à de telles crises. L'enquête que nous avons menée auprès d'environ 2000 personnes entre fin avril et fin mai 2020 révèle que la population a fait confiance aux res­ponsables politiques et aux experts scientifiques pendant la crise du Covid-19 alors qu'elle s'est montrée plus sceptique à l’égard des médias et de l’économie. En ce qui concerne les enjeux environnementaux, la population ne croit pas que le Covid aura eu un effet positif sur ceux-ci.

Le Conseil fédéral peut restreindre les droits fondamentaux en cas de crise

Pendant la crise du Covid-19, le Conseil fédéral a dû déclarer l’état d’urgence et limiter ainsi considérablement les droits fondamentaux de la population. Par exemple, la liberté de circu­lation a été fortement réduite par la fermeture des frontières, et l’interdiction temporaire de la liberté de réunion a également réduit de fait la liberté d’expression. Même si ces mesures sont justifiées au nom de la protection de la santé de la population, notamment celle des groupes à risque, elles peuvent constituer une menace pour la démocratie.

Pourtant, ces restrictions ont été bien acceptées par la population : 85 % des personnes interrogées durant notre enquête estiment que les restrictions des droits fondamentaux imposées par le Conseil fédéral étaient justifiées. Un tel consensus s'explique certainement par le fait qu'une majorité des gens croient que le système politique suisse a la capacité de résoudre de telles crises. Cela n'empêche pas les répondants de s'interroger sur de telles restrictions. Près des deux tiers des personnes interrogées estiment en effet que les droits fondamentaux ne devraient être restreints qu'à court terme et seulement un tiers d’entre elles toléreraient une restriction de plus longue durée. En outre, plus de la moitié a trouvé que ces restrictions posaient des problèmes, même si celles-ci étaient nécessaires et justifiées. Au final, la population considère bien que l’état d’exception, comme son nom l’indique, doit rester une exception.

La tendance qui se dessine dans l'ensemble de la population se retrouve aussi parmi certains groupes spécifiques de la population. Par exemple, aucune diffé­rence n’a été constatée en fonction du sexe, de l’âge ou de la sensibilité politique. Notons quand même que la Suisse latine (Suisse romande et Tessin) semble moins encline à tolérer une restriction prolongée de ses droits par rapport à la Suisse alémanique (graphique 1) [1]. On observe un phénomène similaire entre personnes très intéressées par la politique et personnes peu intéressées par celle-ci. Ainsi, ces deux groupes - Suisse latine et personnes très intéressées par la politique - ont plus tendance à trouver ces restrictions problématiques, même si ces dernières sont nécessaires et justifiées.

 

Graphique 1: opinions relatives aux restrictions des droits fondamentaux émises par les personnes interrogées selon leur région linguistique de résidence (en % des répondants)

Graphique 2: opinions relatives aux restrictions des droits fondamentaux émises par les personnes interrogées en fonction de leur intérêt pour les questions politiques (en % des répondants)

N=1874. Dans quelle mesure considérez-vous que le Conseil fédéral est habilité à restreindre les droits fondamentaux (liberté de mouvement, d’opinion ou de réunion) de la population pendant la crise du coronavirus? Jamais, pour une courte durée, à long terme ?

 

Une des raisons pour lesquelles les personnes interrogées acceptent les restrictions des droits fondamentaux pourrait être qu'elles font confiance au système politique pour surmonter de telles crises. En outre, le niveau de confiance dans les institutions politiques est généralement élevé par rapport aux autres pays européens [2]. C’est ce qui ressort également de l’enquête MOSAiCH. Avant même le confinement, la population suisse témoignait déjà d’un niveau de confiance relativement élevé à l’égard du Conseil national et du Conseil des États (moyenne de 6,2 sur une échelle de 0 à 10). Il n'y a qu'aux universités et aux écoles polytechniques fédérales qu'elle faisait plus confiance (7.2). Cependant, la population était plus sceptique en ce qui concerne les médias et l’économie. Comme le montre le graphique 2, cette appréciation n’a pas changé pendant la crise du Covid-19 et s'est même plutôt consolidée. La confiance dans les univer­sités et dans le Parlement a légèrement augmenté. Une confiance égale a été accordée au Conseil fédéral, à l’Office fédéral de la santé publique et aux autorités cantonales. C’est un véritable témoignage de confiance en faveur de ces institutions qui ont été quotidiennement au centre de l'attention du public. En revanche, si la confiance dans les médias et l’économie n’a que légèrement baissé, elle a tout de même diminué de manière significative.

 

Graphique 2: confiance dans les institutions politiques avant et pendant la période de confinement (valeurs moyennes)

N=1’840-1887. Veuillez utiliser cette échelle de 0 à 10, où 0 signifie "pas de confiance du tout" et 10 "confiance absolue". Quel est votre degré de confiance dans les institutions suivantes ? Toutes les différences indiquées sont significatives.

 

Covid-19 : plutôt une menace qu'une chance pour l’environnement

Qu'en est-il du lien entre Covid-19 et protection de l’environnement? Alors que le mouvement pour le climat était sur toutes les lèvres jusqu'à peu de temps avant le début de la pandémie, celui-ci semble s'être fait plus discret. Y'a-t-il un risque qu'on finisse par oublier les exigences de la nature? Pourtant, pendant le confinement, certains espéraient que le Covid-19 pourrait avoir un effet positif sur l’environnement.

Le graphique 3 compare les principales problématiques se posant en Suisse avant et pendant le confinement. Les répondants ont indiqué quels étaient les deux principale problématiques en Suisse. Les fortes variations à court terme entre la première enquête, avant le confinement, et le deuxième entretien, pendant le confinement, ne promettent rien de bon pour l’environnement. Bien que l’environnement, après la santé, reste au deuxième rang des problèmes les plus importants pour la Suisse, il perd près de dix pour cent face à l’économie, qui a clairement gagné en importance (près de 12 pour cent). Outre cette forte variation, l’importance du problème de la pauvreté augmente légèrement (3,4 pour cent). Cela pourrait être lié au débat sur la pauvreté lors de la crise du Covid-19 en Suisse et dans le monde. La perception des autres problématiques n’a que peu évolué jusqu'à présent mais il sera néanmoins intéressant de voir comment la perception de celles-ci évoluera sur la base des deux prochaines enquêtes prévues en automne 2020 et au printemps 2021.

 

Graphique 3: les principaux domaines problématiques pour la Suisse avant et pendant la période de confinement (en % des personnes interrogées)

N=1852-1896. À votre avis, parmi les problèmes suivants, lequel est le plus important pour la Suisse aujourd’hui ? Lequel placeriez-vous au second rang ? Les différences auxquelles le texte se réfère sont significatives.

 

La diminution de l'importance perçue de la problématique de l'environnement peut être mise en lien avec la perception de l'impact du Covid sur l'environnement. La population semble en effet sceptique sur la question de l’impact positif que pourrait avoir le Covid-19 en matière d’environnement (graphique 4). La majorité des répondants de l'enquête estimen que la pandémie n’aura aucun impact (33 pour cent), voire un impact négatif (23 pour cent) sur l'environnement. Ce scepticisme est encore renforcé par l’opinion dominante (62 pour cent) selon laquelle les besoins de l’économie seront à nouveau jugés prioritaires au détriment des questions environnementales après la crise. Notons quand même que la majorité de la population ne croit pas que le Covid-19 est le résultat de l’exploitation de la nature par l’homme.

 

Graphique 4: quel est le lien entre l’environnement et le Covid-19 ? (en pour cent des répondants)

  

N= 1723-1797. Dans quelle mesure êtes-vous d’accord avec les déclarations ci-après concernant le lien entre le coronavirus et l’environnement ? La crise du coronavirus aura sur l’environnement un effet positif à long terme. Passée la crise du coronavirus, la relance de l’économie sera prioritaire au détriment des questions environnemen­tales. La crise du coronavirus est un résultat de l’exploitation de la nature par l’être humain.

 

Bien que le mouvement environnemental de ces dernières années soit souvent appelé "jeunesse mobilisée pour le climat", il est intéressant de constater qu'il n’y a pas de différences frappantes entre groupes d’âge. Par exemple, les plus jeunes participants à notre enquête croient aux effets environnementaux positifs de la crise du Covid-19 dans la même mesure que les participants plus âgés (49 pour cent d’approbation des 18 à 30 ans contre 46 pour cent des personnes de 65 ans et plus). L’affirmation selon laquelle les besoins de l’économie redeviendront prioritaires à la fin de la période de confinement est celle qui convainc le plus auprès des jeunes. Toutefois, même dans ce cas, les différences sont moins importantes que prévu : 68 pour cent d’approbation chez les 18-30 ans contre 61 pour cent pour les 31-64 ans et 59 pour cent pour les 65 ans et plus. Enfin, nous n'observons aucune différence selon l’âge quant à la question de savoir si le Covid-19 est le résultat de l’exploitation de la nature par l’homme. Les enjeux écologiques touchent donc dans une même mesure toutes les générations.

Si l'âge ne semble pas expliquer les différences observées en termes de lien entre coronavirus et environnement, les différences de sensibilité politique des répondants semblent plus déterminantes [3]. Par exemple, les répon­dants qui sont proches des partis de gauche (63 pour cent) sont plus susceptibles de douter de l’impact positif du Covid-19 sur l’environnement que ceux qui sont proches du centre (54 pour cent) ou des partis de droite (50 pour cent). En revanche, ceux du camp de droite sont plus sceptiques quant à l’affirmation selon laquelle la relance de l’économie à la fin de la crise du coronavirus sera privilégiée au détriment des questions environnementales (56 pour cent contre 36 pour cent pour les partis du milieu et 33 pour cent pour les partis de gauche). Quant au fait que le Covid-19 serait le résultat de l’exploitation de la nature par l’homme, les personnes qui le pensent sont surtout celles ayant une affinité avec les partis de gauche (45 pour cent). Un tiers seulement des personnes ayant une préférence pour les partis de droite et environ un quart seulement des sympathisants des partis du centre croient en un tel lien.

Nous constatons également des différences selon le sexe des personnes interrogées et selon les régions linguistiques. Ainsi, d’une part, les femmes sont plus enclines à croire à un impact positif de la crise du coronavirus sur l’environnement (approbation [parfois très nette] par 48 pour cent des femmes contre 40 pour cent des hommes) et, d’autre part, à penser que le Covid-19 est le résultat de l’exploitation de la nature par l’être humain (42 pour cent des femmes contre 33 pour cent des hommes). Aucune différence n’est observée sur la question de la priorité accordée à l’économie. Il n’y a pas de différence non plus entre régions linguistiques en ce qui concerne les effets positifs de la crise du Covid-19 sur l’environnement. Par contre, l’opinion selon laquelle la priorité serait donnée à l’économie est beaucoup plus généralisée en Suisse alémanique (68 pour cent) qu'en Suisse latine (49 pour cent au Tessin et en Suisse romande). C’est l’inverse en ce qui concerne la question de savoir si l’origine du Covid-19 se situe dans l’exploitation de la nature par l’homme (52 pour cent d’approbation au Tessin et en Suisse romande, contre 31 pour cent en Suisse alémanique).

 

Conclusion

Bien que l’enquête FORS Covid-19 MOSAiCH n’ait pu poser que quelques questions sur le thème de la politique, elle permet de tirer deux conclusions importantes. Premièrement, le système politique suisse est perçu comme suffisamment robuste pour résister à une pan­démie. Les personnes interrogées ont clairement exprimé leur confiance dans les institutions politiques. C’est là un signe important pour les institutions politiques suisses : en cas de nécessité, elles peuvent adopter des mesures radicales pour gérer une crise et compter sur la population suisse pour mettre en œuvre ces mesures, du moins à court terme. À première vue, ce résultat semble stable ; nous n’avons guère pu détecter de changements entre avant et pendant le confinement.

Deuxièmement, les priorités des personnes interrogées ont consi­dérablement changé. Ainsi, en peu de temps, l’environnement a perdu en importance, tandis que les préoccupations relatives à l’économie et, dans une moindre mesure, à la pauvreté ont gagné du terrain. Ces changements sont-ils seulement une expression du confi­nement ou les priorités de la population suisse vont-elles changer à long terme ? Comme les problématiques perçues comme les plus importantes sont généralement sujettes à une forte volatilité, il sera intéressant de suivre ces changements lorsque nous interrogerons à nouveau les répondants en octobre prochain et au printemps 2021 [4].

Pour conclure, notons que ce rapport est un instantané basé sur des analyses très simples et descriptives. Des données et des analyses supplémentaires sont donc nécessaires pour confirmer ou infirmer les hypothèses qui y sont formulées.

Enquête FORS Covid-19 MOSAiCH
Afin de contribuer à la compréhension des effets du Covid-19 sur la société en Suisse, MOSAiCH (https://fors-center.ch/mosaich/) a ajouté des questions sur le Covid-19 et sur les mesures prises pour y faire face. MOSAiCH est une enquête socio­logique annuelle. Les questions portent sur les thèmes du bien-être, du travail, de la conciliation de la vie familiale et professionnelle ainsi que de la politique. Entre fin avril et fin mai 2020, 1 937 personnes âgées de 18 ans ou plus vivant dans des ménages privés en Suisse ont répondu au questionnaire en ligne. Les résultats ont été pondérés statistiquement afin d'obtenir une meilleure représenta­tivité de la population suisse. Ces person­nes seront interrogées une deuxième fois à l'automne 2020 et une troisième fois au printemps 2021 pour mesurer les effets du Covid-19 à plus long terme.


Cet article est tiré de la fiche d'information no 2 de l'enquête FORS Covid-19 MOSAiCH.


[1] Les personnes ayant un niveau élevé d'intérêt politique ont déclaré dans l'enquête qu'elles étaient "très" ou "passablement" intéressées par la politique. Les personnes peu intéressées par la politique ne sont "pas très" ou "pas du tout" intéressées.

[2] Voir également Bauer, P. C., Freitag, M., et P. Sciarini. 2013. Political Trust in Switzerland : Again a special case? SSRN. https://ssrn.com/abtract=2471152.

[3] La sensibilité politique est mesurée en fonction du parti le plus proche. Droite : UDC, UDF, Lega, MCG. Centre : PLR, PDC, PVL, PBD, CG-PCS, PLD de Bâle, Pirates. Gauche : PS, FPE, PST-POP, LA, solidaritéS, EàG.

[4] Voir également Tresch, Anke, Lauener, Lukas, Bernhard, Laurent, Lutz Georg et Laura Scaperrotta, 2020. Élections fédérales 2019. Participation et choix électoral. Selects – FORS, Lausanne, p. 65, tableau 11.

 

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