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Campagnes négatives – c’est le ton qui fait la musique 

Alessandro Nai
25th November 2016

Les campagnes négatives sont partout, de la récente élection Américaine aux votations fédérales en Suisse. Elles ont le pouvoir de mobiliser les citoyens, mais aussi d’augmenter le cynisme et creuser le fossé entre peuple et gouvernements. Bien qu’elles aient des résultats incertains, elles émanent de considérations stratégiques ainsi que de la personnalité des candidats.

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Des campagnes « négatives » ?

De nos jours, il est virtuellement impossible de suivre un événement politique (une élection, une votation, un débat) sans être exposé à des messages « négatifs ». Que celui ou celle parmi vous qui n’a pas entendu Trump critiquer Clinton sur son bilan en tant que Secrétaire d’Etat (ou même sur sa santé voir son apparence physique) jette le premier la pierre ! Vous ne serez pas étonnés d’apprendre que la campagne pour l’élection Présidentielle 2016 aux USA a été la plus négative jamais enregistrée. Et, bien évidemment, toutes les attaques ne viennent pas que du camp Républicain (Figure 1).

Figure 1 : Publicité politique anti-Trump sponsorisée par Citizens SuperPACale_1

Cela étant, toute campagne virulente ou émotionnellement chargée – et les exemples, à nouveau, abondent – n’est pas nécessairement une campagne « négative », et trop souvent le terme est interprété à tort comme synonyme de  campagne « néfaste », « de mauvaise qualité », ou même « émotionnelle ».

En bref, très souvent un couvert normatif (et péjoratif) est automatiquement associé aux campagnes négatives. Il convient donc de préciser qu’une campagne « négative », telle que définie dans la littérature, est une campagne qui se focalise sur les critiques contre les adversaires politiques - leurs faiblesses, les problèmes dans leurs positions et programmes politiques, le bilan de leur action politique passée, voire même leurs traits de caractère. Une campagne négative porte principalement sur l’adversaire, et consacre moins d’attention à la défense de ses propres positions, propositions ou bilan.

C’est bien donc une composante directionnelle qui discrimine entre campagnes négatives et positives (le « ton » de la campagne), et pas nécessairement la virulence des messages qui sont avancés. Dans ce sens, une campagne politique peut tout à fait jouer sur des éléments émotionnels très forts  - par exemple susciter de l’anxiété envers des segments spécifiques de la population (comme souvent fait par les campagnes de l’UDC sur les enjeux d’immigration) – sans qu’elle soit pour autant qualifiée de « négative ».

 Campagnes négatives en démocratie directe suisse

Les élections sont le domaine par excellence dans lequel les acteurs politiques décident de recourir à des campagnes négatives. Lors d’une élection, et surtout lorsque les votants sont appelés à choisir entre différents candidats en compétition directe (par exemple lors d’une élection dans un système électoral majoritaire), l’importance des campagnes négatives prend tout son sens. Au fond, n’est-il pas l’objectif principal de toute campagne électorale que de convaincre l’électorat que choisir « moi au lieu de toi » est la meilleure option ? Dans ce sens, il est alors logique de retrouver dans les campagnes électorales une part importante de messages négatifs, qui soulignent les faiblesses de l’adversaire afin de mieux renforcer sa propre position.

Il serait naïf, cependant, de considérer que les campagnes négatives n’existent que dans un contexte électoral. En démocratie directe aussi, et notamment en Suisse, les critiques contre les adversaires sont une part importante du discours politique. Bien que les dynamiques de démocratie directe soient probablement plus complexes que les dynamiques électorales, il n’en reste pas moins que les enjeux de compétition partisane soient bien présentes dans l’arène référendaire aussi.

Figure 2 : Exemple de publicité négative en démocratie directe suisseale_2
Note: Initiative populaire "pour une retraite à la carte dès 62 ans, tant pour les hommes que pour les femmes" (26.11.2000). Image publiée dans Tribune de Genève, 14.11.2000, p. 30, taille originale 148.5 cm2.

L’analyse de presque 10,000 publicités politiques publiées dans la presse Suisse entre 1999 et 2012 (121 objets votés) dans le mois avant chaque votation fédérale montre clairement que les campagnes négatives sont une réalité en Suisse aussi, comme montré par l’exemple suivant (Figure 2). Bien qu’on soit loin des niveaux de négativité présents dans d’autres pays, presque 10% en moyenne des publicités politiques en Suisse contiennent des messages négatifs – pourcentage qui monte parfois bien au delà de 20-30%, comme il apparaît dans la Figure 3.

 Figure 3 : Pourcentage de publicités négatives, par projet, entre 1999 et 2012ale_3
 Quelles conséquences ?

En quoi la présence de campagnes négatives nous informe-t-elle sur les dynamiques politiques en vigueur ? En d’autres termes, pourquoi est-il important de s’intéresser à ce phénomène, parmi tant d’autres ? Tout simplement, de fortes raisons existent pour anticiper que l’utilisation de campagnes négatives n’est pas sans conséquences, tant au niveau individuel (le votant) qu'au niveau de la société. Et les effets des campagnes négatives décrits dans la littérature abondent, sur une multitude de phénomènes tels que le cynisme, la participation, les résultats électoraux, l’anxiété ou l’enthousiasme des votants, l’utilisation des médias, la recherche d’informations ou encore le sentiment d’efficacité politique.

Si on regarde cette littérature dans son ensemble, une question prend clairement la part du lion : est-ce que les campagnes négatives augmentent l’abstention, ou la participation ? Les campagnes négatives incitent-elles à la mobilisation des citoyens, ou à leur démobilisation ? Malheureusement, la littérature n’est pas en mesure d’apporter une réponse claire à cette question.

Deux filons de recherche sont en effet en compétition (de manière parfois relativement virulente, ironiquement) : d’un côté de nombreuses études montrent clairement que le citoyen moyen méprise les messages négatifs et considère leur utilisation comme un symptôme de malaise du système politique. Cela a comme effet direct d’augmenter le cynisme des votants, qui creuse l’écart entre élites politiques et citoyens, source finalement d’une plus forte abstention (par exemple, Ansolabehere & Iyengar 1995).

De l’autre côté, des études montrent que les messages négatifs capturent et captivent l’attention des votants, chose qui a comme effet direct d’augmenter la saillance des enjeux, et par conséquent la participation des citoyens (par exemple, Geer 2006). De nouvelles études montrent que l’effet mobilisateur ou démobilisateur des messages négatifs dépend du contexte et d’autres facteurs modérateurs, mais d’avantage de recherche est nécessaire pour aboutir à une compréhension complète de ces mécanismes.

Et en Suisse ? Quelques analyses que j’ai pu mener grâce aux données émanant de l’analyse des publicités politiques montrent des effets intéressants sur la psychologie des votants. Ainsi, lorsque les campagnes sont particulièrement négatives, les votants ont statistiquement moins de chances d’activer un raisonnement sophistiqué (traitement « systématique » de l’information politique ; Nai 2014a), ont plus de chances d’avoir des opinions ambivalentes (Nai 2014b), et moins de chances de voter en accord avec leurs propres opinions (Lanz & Nai 2015).

En gros, une campagne excessivement négative semblerait créer des conditions optimales pour une formation de l’opinion plus laborieuse, et avec des résultats plus incertains en termes de qualité des opinions formulées. Et qu’en-est il du taux de participation ? Eh bien, ici les choses se compliquent.

Si l'on en croit mes résultats, il semblerait en effet qu'un plus fort taux de messages négatifs lors des campagnes en démocratie directe ait comme effet d’augmenter la participation lorsque ce sont les campagnes du « oui » qui sont négatives, et de diminuer la participation lorsque c’est le « non » qui utilise le plus de messages négatifs. Plus d’études sont en cours pour décrypter cet effet, qui pourrait être lié à des émotions différentes suscitées chez les votants en fonction de l'émetteur des messages négatifs (Nai 2013).

Going negative : qui et quand ?

Tant dans la littérature internationale qu'en Suisse, les effets de la négativité dans les campagnes politiques ne sont pas clairs. Surtout, il est tout sauf certain que l’utilisation de messages négatifs ait des conséquences positives en termes de « retours » dans les urnes. Mais alors, pourquoi utiliser cet outil rhétorique, potentiellement dangereux (car mal aimé par les votants) ?

La réponse dans la littérature part du postulat, souvent vérifié, que les campagnes négatives sont au moins efficaces pour capturer l’attention des citoyens et, potentiellement, décourager les votants indécis de voter pour les opposants. Il en suit, stratégiquement, que sous certaines conditions l’utilisation d’attaques politiques fait du sens rationnellement, surtout lorsque l’on a plus grande chose à perdre.

Tant dans le contexte des élections Américaines que dans celui des votations en Suisse, des analyses ont en effet montré que deux éléments stratégiques sont centraux : les acteurs politiques ont significativement plus de chances d’utiliser des messages négatifs quand ils sont donnés perdants dans les sondages (donc ils sont moins affectés par un potentiel « backlash effect »), et lorsque la campagne touche à sa fin et le temps pour faire campagne est compté (Nai & Sciarini 2015). Dance cas, et surtout lorsque les sondages sont défavorables, c’est le temps qui fait la musique.


Références

  • Ansolabehere, S. and Iyengar, S. (1995) Going Negative: How Attack Ads Shrink and Polarize The Electorate, New York: Free Press.
  • Geer, J. G. (2006) In Defense of Negativity: Attack Ads in Presidential Campaigns, Chicago: University of Chicago Press.
  • Lanz, S. and Nai, A. (2015) 'Vote as you think: Determinants of consistent decision-making in direct democracy', Swiss Political Science Review, 21(1): 119-139.
  • Nai, A. (2013) 'What really matters is which camp goes dirty. Differential effects of negative campaigning on turnout during Swiss federal ballots', European Journal of Political Research, 52(1): 44-70. 
  • Nai, A. (2014a) Choisir avec l'esprit, voter avec le Coeur. Causes et conséquences des processus cognitifs de formation de l'opinion en Suisse lors des votations fédérales, Zurich: Seismo.
  • Nai, A. (2014b) 'The Cadillac, the mother-in-law, and the ballot: individual and contextual roots of ambivalence in Swiss direct democracy', Electoral Studies, 33: 292-306.
  • Nai, A. and Sciarini, P. (2015) 'Why 'going negative'? Strategic and situational determinants of personal attacks in Swiss direct democratic votes', Journal of Political Marketing, DOI: 10.1080/15377857.2015.1058310.