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Les jeunes profitent-ils du chômage ?

Jasmine Lorenzini
29th April 2016

Contrairement à l’Espagne ou à la Grèce qui ont connu ces dernières années des taux de chômage avoisinant les 50 pourcents parmi les jeunes, la situation des jeunes sur le marché de l’emploi en Suisse semble idyllique avec un taux de chômage proche des 8 pourcents[1]. Dès lors, pourquoi s’intéresser au chômage des jeunes ? Le chômage des jeunes est-il un problème uniquement lorsqu’il inquiète par l’ampleur du phénomène ? Dans un tel contexte, doit-on se préoccuper du fait que les jeunes profitent du chômage ?

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Il me semble important de montrer brièvement ici que le chômage des jeunes est un problème social qui mérite toute notre attention au-delà de la question, souvent chère aux politicien-ne-s et aux médias, du nombre de chômeurs. Le chômage suscite trop souvent des remarques négatives sur les personnes qui y sont confrontés, il révèle des à priori sur le manque de volonté ou de détermination des jeunes chômeurs[2] à trouver un emploi. Ceci est d’autant plus marqué lorsque les personnes sans emploi sont dans la force de l’âge et que le taux de chômage est faible. Il est alors d’autant plus aisé de reporter la faute du chômage sur la personne sans emploi, sans tenir compte du rôle des employeurs et du système de formation.

Toutefois, je souhaite établir, en m’appuyant sur des recherches en sciences sociales, que le chômage est loin d’être une période de repos ou de vacances. De nombreux chômeurs vivent mal l’absence d’un emploi rémunéré. Ainsi, cette réflexion questionne nos préjugés à l’encontre des personnes les plus vulnérables sur le marché de l’emploi. De plus, cela permet de repenser notre rapport à l’emploi et de reformuler nos attentes face à un monde du travail en mutation.

Chômage et stigmate

Le taux de chômage étant relativement bas en Suisse, il est courant de penser que celles et ceux qui souhaitent travailler peuvent le faire sans problème et de faire, ainsi, reposer la faute du chômage sur les personnes confrontées à des difficultés pour entrer dans le monde du travail. Les préjugés que nous avons sur les chômeurs et sur les jeunes chômeurs sont particulièrement tenaces, il n’est pas rare d’entendre que les chômeurs « profitent » ou qu’ils manquent de volonté[3]. Ces préjugés transparaissent dans plusieurs domaines, qu’il s’agisse de la manière dont les médias parlent du chômage, des politiques publiques et des politicien-ne-s ou encore des réseaux privés – ami-e-s ou famille. Les chômeurs sont confrontés au quotidien à cette idée qu’ils pourraient (devraient) en faire plus pour décrocher un emploi.

Chômage, santé et bien-être

Ces doutes constants à la fois sur leur motivation et sur leur capacité à trouver un travail pèsent sur la vie quotidienne des chômeurs, contribuant à une détérioration de leur santé physique et mentale. Les chômeurs souffrent de la perte de leur emploi, car il offrait des contacts réguliers avec des collègues, une structuration de la vie quotidienne et une valorisation des compétences de la personne. Confrontés à des postulations sans résultats et à de nombreux refus, ils subissent également les conséquences d’une perte d’estime de soi et de confiance en leur capacité à faire face aux difficultés. Une étude portant sur la Suisse montre que le chômage réduit le bien-être des personnes qui y sont confronté, il a notamment un impact sur la santé en général et peut conduire à la dépression[4].

Rapport à l’emploi et transformation du monde du travail

La recherche en sciences sociales montre que le chômage a un impact globalement négatif sur la vie des personnes car l’emploi ne fournit pas uniquement un revenu. L’emploi offre également des contacts sociaux en-dehors du cercle familial et permet de se construire une identité valorisée socialement. Les transformations du marché du travail offrent des opportunités pour repenser le partage de certaines richesses, telles que l’emploi, la valorisation de soi ou le temps. Il est possible notamment d’envisager une réduction du temps de travail permettant d’offrir un emploi à un plus grand nombre de personnes ou de considérer des périodes de chômage comme des périodes de reconversion professionnelle. A ce propos, il est essentiel de prendre en compte le rôle des employeurs qui peuvent offrir une chance d’entrer sur le marché du travail à des jeunes cherchant un premier emploi, à des travailleurs confrontés à une période de chômage, mais aussi offrir la possibilité à chacune et à chacun de réduire son temps de travail.

[1] Les chiffres présentés proviennent des statistiques de l’OCDE, ils correspondent à l’année 2014 et se réfèrent aux jeunes entre 15 et 24 ans.

[2] Afin de ne pas alourdir le texte, le terme chômeurs est utilisé pour faire référence à la fois aux chômeurs et aux chômeuses.

[3] Voir la publication de l’Association pour la Défense des Chômeurs de Neuchâtel (ADCN) pour en savoir plus sur les préjugés auxquels sont confrontés les chômeurs.

[4] Voir l’étude de Jean-François Marquis pour en savoir plus sur la santé et le bien-être des chômeurs en Suisse.

Note: Cet article est un résumé du chapitre de Jasmine Lorenzini, «Les jeunes profitent-ils du chômage ?», paru dans « Les étrangers volent-ils notre travail? Et quatorze autres questions impertinentes » (édité par Anouk Lloren, Nicolas Tavaglione et Laurent Tischler). Labor&Fides, avril 2016.


Références:

  • ADCN, Association pour la Défense des Chômeurs de Neuchâtel (sous la dir. de.) (2012). Chômage : petit recueil de préjugés. Neuchâtel: Le Locle: ADCN Editions G d'Encre.

  • Marquis, Jean-François (2010). Conditions de travail, chômage et santé : la situation Suisse à la lumière de l'Enquête suisse sur la santé 2007. Lausanne: Page deux.

Photo: pixabay.com