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Le Contrat de Quartier — vers une démocratie (plus) participative

Ardita Driza Maurer, Thierry Apotheloz
1st April 2016

Lorsqu'on parle de démocratie et d'étrangers les arguments se focalisent sur les droits politiques. Réflexe compréhensible au pays de la démocratie directe. Mais voilà que la grande majorité des cantons et des communes suisses n'octroient aucun droit politique aux étrangers qui y sont domiciliés, même depuis de longues années, liant ainsi les droits politiques à la nationalité. Là où de tels droits existent, l'on constate que les étrangers ne se ruent pas aux urnes.

Aarauer Demokratietage

Existe-t-il, au-delà des droits politiques, d'autres manières de participer, ouvertes aux étrangers qui souhaitent s'engager pour leur quartier et leur commune sans forcément avoir la possibilité ou l'envie d'obtenir le passeport rouge à croix blanche?

En Suisse nous connaissons bien les rouages de la démocratie directe (initiative, référendum, votations) et représentative (élections). Les outils de la démocratie participative qui permettent aux habitants de participer à la conception et à la réalisation des solutions adoptées, particulièrement au niveau local, sont, eux, moins connus. La Ville de Vernier utilise depuis 2005 un instrument original de démocratie participative: le contrat de quartier.

L'expérience de Vernier

Le contrat de quartier se définit comme le cadre par lequel la Ville de Vernier s'engage à mettre en œuvre, de façon concertée des actions répondant à des besoins identifiés par les personnes concernées. Il s'agit d'une politique publique qui vise à renforcer la démocratie participative.

Figure 1: 

Democratie

Chaque habitant-e du quartier a la possibilité d'intervenir rapidement et efficacement dans l'amélioration de son quotidien en proposant un projet d'intérêt public. Il suffit pour cela de remplir la fiche de projet et de la déposer dans une des boites dédiées placées à des endroits fréquentés, notamment auprès de centres commerciaux.

Le projet est ensuite examiné par le Groupe de projets, composé, lui aussi, d'habitant-e-s. Ces derniers jouent le rôle de coach et soutiennent les initiateurs du projet à structurer et présenter leur proposition.

Après validation par le Groupe de projet, le projet est examiné et finalement approuvé par un Comité de pilotage composé pour moitié d'habitants et pour moitié de représentants des forces politiques. A ce jour, tous les projets présentés par les Groupes de projet des cinq quartiers que compte Vernier ont été approuvés par le COPIL.

Le projet sera financé par des fonds mis à disposition par la commune. Chaque contrat de quartier reçoit une enveloppe budgétaire annuelle de 50'000 frs. La réalisation sera, elle aussi, menée par les initiateurs du projet, avec l’aide au besoin du délégué aux contrats de quartier.

Ouvert à chaque habitant-e, indépendamment de la couleur du passeport ou de la durée de résidence, le contrat de quartier permet l'implication de tous les acteurs du quartier dans la conception, l'évaluation et la réalisation de projets de proximité et contribue au renforcement du lien social.

Entre engagement social et droits politiques

Le contrat de quartier est un canal de participation ouvert au plus grand nombre. Il fait l'objet d'un Règlement[1] qui en clarifie le but, le fonctionnement, les ressources allouées, les projets possibles, la structure et les instances.

Un délégué aux contrats de quartier fait le lien entre l'administration communale et les instances du contrat de quartier. Ces dernières comprennent une assemblée de quartier qui se réunit au moins une fois par année, une permanence, le Groupe de projet et le Comité de pilotage.

Figure 2:

Democratie

Sans être un droit, le contrat de quartier est un outil de politique sociale et une possibilité de participation ouverte durablement aux habitants. L'impulsion des projets vient de ces derniers. Ceci le distingue d'autres plateformes participatives introduites ponctuellement par les autorités communales à des fins de consultation ou de négociation.

Le contrat de quartier permet l'émergence de projets venant des habitants - ces experts du quotidien. Mais pas seulement. La réalisation même des projets retenus est confiée aux habitants. La commune intervient lorsque son aide est nécessaire. Les habitants se retrouvent ainsi au centre de la démarche, de la conception à la réalisation finale du projet.

L'introduction d'un tel instrument de démocratie participative répond à plusieurs défis, notamment à une forte augmentation des inégalités dans les quartiers populaires (Vernier en fait partie), un important taux de chômage, de la précarisation. S'y ajoutent un faible taux de participation aux élections et votations et une cohésion sociale fragile. 

Réalisations et défis

Trouver des solutions pour mobiliser les ressources que constituent l'ensemble des habitants paraît important dans un canton où 41% de la population n'a pas la nationalité suisse et est exclue ainsi de la prise de décisions cantonales. Quant aux droits politiques communaux des étrangers, ils sont partiels, puisque les étrangers ne sont pas éligibles, et très rarement utilisés (il y a très peu de votations communales à Genève). Quant au taux de participation des étrangers aux élections communales, il est régulièrement bas depuis 2007 (autour de 27% pour l'ensemble du canton).

Les contrats de quartier verniolans, eux, ont permis la réalisation de plus de 250 projets d'habitants depuis leur introduction en 2005. Les étrangers ont participé de manière importante en soumettant des projets et en s'impliquant dans les instances du contrat de quartier. Les contrats de quartier ont ainsi permis une citoyenneté qui n’est pas basée sur la nationalité ou les droits politiques mais sur l'attachement au lieu de vie, au quartier.

On observe de nouvelles dynamiques de collaboration entre habitants avec un accent spontané sur l’apprentissage de l’inter-culturalisme et une prise de pouvoir des experts du quotidien sur le lieu de vie. De nouvelles synergies naissent des rencontres régulières entre habitants.

Passé le projet-pilote de trois ans, c’est aujourd’hui l'ensemble des forces politiques verniolanes qui soutient les contrats de quartier, la délégation substantielle de compétences que cela implique, et la large autonomie décisionnelle qui est accordée aux habitants.

Le contrat de quartier se veut un outil simple pour faciliter l'émergence des idées. Les temps de traitement d'un projet sont courts, l'administration et les autorités accessibles. Pas étonnant dès lors d'observer, depuis son introduction, un rapprochement entre habitants, administration et représentants du monde politique.

En 2015, Vernier était la seule Ville du canton à connaitre une hausse du taux de participation aux élections communales d'environ 4%. Le contrat de quartier et le rapprochement habitants-autorités observé y sont-ils pour quelque chose? En l'absence d'autres explications plausibles, on peut se permettre de le supposer.

D'autres communes ont repris le modèle verniolan du contrat de quartier tout on l'adaptant à leurs besoins. Onex, Lancy, Carouge ainsi que la Ville de Genève et la Ville de Lausanne expérimentent elles aussi cet instrument de démocratie participative.

Il ne suffit cependant pas que le contrat de quartier soit ouvert à chaque habitant-e. Le public cible, les personnes les moins engagées, notamment les étrangers, ne sont pas toujours au courant de son existence et des possibilités qu'il offre. Une démarche proactive de communication ciblant ce public est dès lors envisagée.

Un autre défi est d'assurer que les instances du contrat de quartier, p.ex. le Groupe de projet, soient représentatives de la mixité du quartier. Il s'agit d'identifier et de former les différents représentants des habitants (p.ex. les étrangers) en matière de gestion de projet, spécificités de la vie associative locale, etc.

Par ce travail continu d'éducation populaire, de responsabilisation des habitants, de renforcement des liens qui relient les habitants à leur quartier, le contrat de quartier contribue de manière pragmatique à la participation des étrangers dans la société dans laquelle ils vivent, indépendamment de la couleur de leur passeport.


[1] Le règlement du Conseil administratif de la Ville de Vernier relatif aux Contrats de quartier est adopté le 26 novembre 2013 et entre en vigueur le 1er janvier 2014.

Photo: Vernier - Avanchets, vue depuis la passerelle (© Bryan Schaub)