Les jeunes profitent-ils du chômage ?

Con­tr­ai­re­ment à l’Espagne ou à la Grè­ce qui ont con­nu ces der­niè­res années des taux de chô­mage avoi­si­nant les 50 pour­cents par­mi les jeu­nes, la situa­ti­on des jeu­nes sur le mar­ché de l’emploi en Suis­se sem­ble idyl­li­que avec un taux de chô­mage pro­che des 8 pour­cents[1]. Dès lors, pour­quoi s’intéresser au chô­mage des jeu­nes ? Le chô­mage des jeu­nes est-il un pro­blè­me uni­que­ment lorsqu’il inquiè­te par l’ampleur du phé­nomè­ne ? Dans un tel con­tex­te, doit-on se préoc­cup­er du fait que les jeu­nes pro­fi­tent du chômage ?

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Il me sem­ble important de mon­trer briè­ve­ment ici que le chô­mage des jeu­nes est un pro­blè­me social qui méri­te tou­te not­re atten­ti­on au-delà de la ques­ti­on, sou­vent chè­re aux poli­ti­ci­en-ne‑s et aux médi­as, du nombre de chô­meurs. Le chô­mage sus­ci­te trop sou­vent des remar­ques néga­ti­ves sur les per­son­nes qui y sont con­fron­tés, il révè­le des à prio­ri sur le man­que de volon­té ou de déter­mi­na­ti­on des jeu­nes chô­meurs[2] à trou­ver un emploi. Ceci est d’autant plus mar­qué lors­que les per­son­nes sans emploi sont dans la for­ce de l’âge et que le taux de chô­mage est fai­ble. Il est alors d’autant plus aisé de repor­ter la fau­te du chô­mage sur la per­son­ne sans emploi, sans tenir comp­te du rôle des employ­eurs et du sys­tème de formation.

Tou­te­fois, je sou­hai­te éta­b­lir, en m’appuyant sur des recher­ches en sci­en­ces socia­les, que le chô­mage est loin d’être une péri­ode de repos ou de vacan­ces. De nombreux chô­meurs vivent mal l’absence d’un emploi rému­n­é­ré. Ain­si, cet­te réfle­xi­on ques­ti­on­ne nos pré­ju­gés à l’encontre des per­son­nes les plus vul­né­ra­bles sur le mar­ché de l’emploi. De plus, cela per­met de repen­ser not­re rap­port à l’emploi et de refor­mu­ler nos atten­tes face à un mon­de du tra­vail en mutation.

Chômage et stigmate

Le taux de chô­mage étant rela­ti­ve­ment bas en Suis­se, il est cou­rant de pen­ser que cel­les et ceux qui sou­hai­tent tra­vail­ler peu­vent le fai­re sans pro­blè­me et de fai­re, ain­si, repo­ser la fau­te du chô­mage sur les per­son­nes con­fron­tées à des dif­fi­cul­tés pour entrer dans le mon­de du tra­vail. Les pré­ju­gés que nous avons sur les chô­meurs et sur les jeu­nes chô­meurs sont par­ti­cu­liè­re­ment ten­aces, il n’est pas rare d’entendre que les chô­meurs « pro­fi­tent » ou qu’ils man­quent de volon­té[3]. Ces pré­ju­gés trans­pa­rais­sent dans plu­sieurs domai­nes, qu’il s’agisse de la maniè­re dont les médi­as par­lent du chô­mage, des poli­ti­ques publi­ques et des poli­ti­ci­en-ne‑s ou encore des réseaux pri­vés – ami-e‑s ou famil­le. Les chô­meurs sont con­fron­tés au quo­ti­di­en à cet­te idée qu’ils pour­rai­ent (dev­rai­ent) en fai­re plus pour décro­cher un emploi.

Chômage, santé et bien-être

Ces dou­tes con­stants à la fois sur leur moti­va­ti­on et sur leur capa­ci­té à trou­ver un tra­vail pèsent sur la vie quo­ti­di­en­ne des chô­meurs, con­tri­buant à une dété­rio­ra­ti­on de leur san­té phy­si­que et men­ta­le. Les chô­meurs souf­frent de la per­te de leur emploi, car il off­rait des con­ta­cts régu­liers avec des col­lè­gues, une struc­tu­ra­ti­on de la vie quo­ti­di­en­ne et une valo­ri­sa­ti­on des com­pé­ten­ces de la per­son­ne. Con­fron­tés à des pos­tu­la­ti­ons sans résul­tats et à de nombreux refus, ils subis­sent éga­le­ment les con­sé­quen­ces d’une per­te d’estime de soi et de con­fi­an­ce en leur capa­ci­té à fai­re face aux dif­fi­cul­tés. Une étu­de portant sur la Suis­se mont­re que le chô­mage rédu­it le bien-être des per­son­nes qui y sont con­fron­té, il a notam­ment un impact sur la san­té en géné­ral et peut con­du­i­re à la dépres­si­on[4].

Rapport à l’emploi et transformation du monde du travail

La recher­che en sci­en­ces socia­les mont­re que le chô­mage a un impact glo­ba­le­ment néga­tif sur la vie des per­son­nes car l’emploi ne four­nit pas uni­que­ment un reve­nu. L’emploi off­re éga­le­ment des con­ta­cts soci­aux en-dehors du cer­cle fami­li­al et per­met de se con­strui­re une iden­ti­té valo­risée socia­le­ment. Les trans­for­ma­ti­ons du mar­ché du tra­vail off­rent des oppor­tu­ni­tés pour repen­ser le par­ta­ge de cer­tai­nes rich­es­ses, tel­les que l’emploi, la valo­ri­sa­ti­on de soi ou le temps. Il est pos­si­ble notam­ment d’envisager une réduc­tion du temps de tra­vail per­met­tant d’offrir un emploi à un plus grand nombre de per­son­nes ou de con­sidé­rer des péri­odes de chô­mage com­me des péri­odes de recon­ver­si­on pro­fes­si­onnel­le. A ce pro­pos, il est essen­ti­el de prend­re en comp­te le rôle des employ­eurs qui peu­vent off­rir une chan­ce d’entrer sur le mar­ché du tra­vail à des jeu­nes cher­chant un pre­mier emploi, à des tra­vail­leurs con­fron­tés à une péri­ode de chô­mage, mais aus­si off­rir la pos­si­bi­li­té à cha­cu­ne et à cha­cun de rédu­i­re son temps de travail.

[1] Les chif­fres pré­sen­tés pro­vi­en­nent des sta­tis­ti­ques de l’OCDE, ils cor­re­spon­dent à l’année 2014 et se réfè­rent aux jeu­nes ent­re 15 et 24 ans.

[2] Afin de ne pas alour­dir le tex­te, le ter­me chô­meurs est uti­li­sé pour fai­re réfé­rence à la fois aux chô­meurs et aux chômeuses.

[3] Voir la publi­ca­ti­on de l’Association pour la Défen­se des Chô­meurs de Neu­châ­tel (ADCN) pour en savoir plus sur les pré­ju­gés aux­quels sont con­fron­tés les chômeurs.

[4] Voir l’étude de Jean-Fran­çois Mar­quis pour en savoir plus sur la san­té et le bien-être des chô­meurs en Suisse.

Note: Cet arti­cle est un résu­mé du cha­pit­re de Jas­mi­ne Lorenz­i­ni, «Les jeu­nes pro­fi­tent-ils du chô­mage ?», paru dans « Les étran­gers volent-ils not­re tra­vail? Et qua­tor­ze autres ques­ti­ons imper­ti­nen­tes » (édi­té par Anouk Llo­ren, Nico­las Tavaglio­ne et Lau­rent Tisch­ler). Labor&Fides, avril 2016.


Réfé­ren­ces:

  • ADCN, Asso­cia­ti­on pour la Défen­se des Chô­meurs de Neu­châ­tel (sous la dir. de.) (2012). Chô­mage : petit recueil de pré­ju­gés. Neu­châ­tel: Le Locle: ADCN Edi­ti­ons G d’Encre.

  • Mar­quis, Jean-Fran­çois (2010). Con­di­ti­ons de tra­vail, chô­mage et san­té : la situa­ti­on Suis­se à la lumiè­re de l’En­quê­te suis­se sur la san­té 2007. Lau­sanne: Page deux.

Pho­to: pixabay.com

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